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  le blog labrousse.erick par : ERICK

Droit et Devoir de Mémoire deuxième guerre mondiale 1940 1945 LUTTER CONTRE LA RÉHABILITATION DE VICHY OU DE SON ADMINISTRATION DE L ÉTAT FRANÇAIS

Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2

Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2
Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2
Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2
Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2
Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2
Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2
Allocation familiale créée sous vichy et non en 1945 2

Le gouvernement de Vichy a privilégié, en deçà de la production d’enfants, les familles nombreuses légitimes, celles répondant au critère de la légitimité nationale. Une légitimité synonyme d’ordre et de permanence, de perpétuation de la « race » française. Le vote familial déjà évoqué requiert des enfants légitimes et français. A contrario, la production d’enfants naturels ou étrangers nés sur le sol français, que l’on ne veut (peut) pour des motifs natalistes exclure totalement de la protection sociale, n’ouvrira pas à certaines indemnités tel le salaire unique ou, dès 1939, à l’indemnité de la femme au foyer comme aux prêts aux jeunes ménages agricoles.

  • 6 Robert TalmyHistoire du mouvement familial en France, 2 tomes, éd. UNCAF, 1962, 313 et 251 p.
  • 7 Seule l’Allemagne nazie a fait fi des structures familiales légitimes et du mariage pour produire (...)

11Distorsions donc entre familialisme et natalisme qui ne peuvent conduire à conclure à l’effacement du natalisme, mais au contraire à poser en termes plus complexes que ne le laissaient apparaître les oppositions entre associations dès les années 1920 les relations entre ces deux notions. Vichy induit un familialisme nataliste à dominante moraliste et légitimiste ayant pour but la production accrue d’enfants français légitimes. Cela suppose incitations et encouragements au mariage et a contrario une surveillance accrue des comportements sexuels et sociaux des parents et des jeunes par de nouveaux agents étatiques ou privés et confessionnels, des sanctions judiciaires nouvelles, pénales ou civiles. Bref une politique d’incitation à la procréation, surveillée et punie.

  • Cf. sur les « chômeurs de profession », M. Bordeaux, « Vichy en plein Travail », op. cit.
  • Une pension d’invalidité ou une allocation d’assistance pouvant prendre la suite.
Le bénéfice des allocations familiales va d’abord être reconnu aux ­victimes d’accidents du travail en invalidité temporaire, ou permanente absolue, (ou décès). Dans le cas d’une incapacité partielle permanente, les allocations familiales subsistent dans la mesure où le travailleur ne reprend pas un emploi (article 21 du Code de la famille). Il va être étendu aux assurés sociaux titulaires d’une pension pour invalidité (ou en cours de régularisation), ou à ceux qui justifient d’une incapacité de travail d’au moins deux tiers, puis aux fonctionnaires retraités au bénéfice de l’âge ou de l’invalidité, aux chômeurs involontaires complets ou partiels (lois des 11 octobre et 18 novembre 1940), aux salarié (e) s en congé de maladie jusqu’à six mois, aux femmes salariées en congé de maternité légal (six semaines avant, six semaines après), aux bénéficiaires de l’allocation aux vieux travailleurs, aux travailleurs en congés payés, ainsi qu’à ceux privés de travail par l’exode.
  • Loi du 9 septembre 1942.
Les caisses de compensation n’étaient pas obligées de maintenir le ­service des allocations aux veuves qui ne travaillaient pas, bien que privées du salaire de leurs maris affiliés, jusqu’à l’importante amélioration de la loi du 9 novembre 1942 qui cependant précise conditions et exclusions. Par « travailleurs » il faut entendre les actifs au moment du décès ou les travailleurs assurés sociaux en cessation d’activité évoqués ci-dessus et qui touchaient des allocations. Pour les non assurés sociaux, le bénéfice de la loi s’ouvre si le mari a cessé son activité depuis moins d’un an à son décès, pour maladie ou invalidité et percevait encore les allocations familiales.
Il faut et il suffit que la veuve ait deux enfants à charge. Le taux de l’allocation sera celui du conjoint quelle que soit la date de son décès, compte tenu des conditions précédemment énoncées, et quel que soit le lieu de résidence de la veuve qui ne travaille pas. Aucun changement n’est apporté au statut des veuves de fonctionnaires qui perçoivent une pension spéciale dont le montant ne peut être inférieur aux allocations perçues de son vivant par le père.
Le texte est très lacunaire. Ses rédacteurs sont obligés de faire appel à la bienveillance des caisses et des ministères concernés. Ces derniers seraient délégués pour fixer les limites et les conditions dans lesquelles les veuves, dont le conjoint n’a pas bénéficié des allocations familiales, pourraient être intégrées dans le nouveau dispositif.
Rien n’est prévu pour les veufs dans l’impossibilité physique de travailler dont l’épouse salariée était le soutien de famille et ouvrait droit aux allocations, non plus que pour les orphelins de père et de mère ; une fois celle-ci décédée, les orphelins ne viennent pas en représentation. Aux caisses de compensation de combler éventuellement cet « oubli du législateur ».
  • Loi du 8 juin 1942.
Le texte en vigueur jusqu’au 8 juin 1942 ouvrait droit aux allocations pour les enfants du ménage, pour ceux à charge des grands parents, pour les adoptés, pour les enfants naturels reconnus, les pupilles ou enfants recueillis, les orphelins de collatéraux, sous condition de nombre (au moins deux) et d’âge (jusqu’à un an après la fin de l’obligation scolaire donc avant l’accomplissement de leur quinzième année)
Désormais les allocations seront versées jusqu’à 20 ans si le jeune effectue des études régulières absorbant tout son temps et ne lui permettant pas de mener une activité rémunératrice, jusqu’à 17 ans pour les apprentis dont la rémunération ne dépasse pas la moitié du salaire moyen départemental, jusqu’à 17 ans également pour les enfants malades et infirmes ne pouvant exercer un emploi salarié. Les caisses de compensation vont devoir rouvrir leurs dossiers fermés dès les 15 ans de l’enfant.
  • Code de la famille, 29 juillet 1939 et modifications des 15 février 1941 et 18 novembre 1942.
L’extension du champ allocataire se manifeste aussi par la création de primes natalistes qui concernent la venue d’enfants français, sains, nés de parents jeunes mariés depuis moins de deux ans sans condition d’activité professionnelle. Un bon exemple de mesure conjoncturelle puisque le délai de deux ans est accru d’une durée égale à celle de la mobilisation du mari. La portée de l’expression « durée de mobilisation » a été précisée par instruction du ministre-secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances du 28 mai 1941. Cette instruction fixe aussi le délai de recevabilité des demandes et prévoit la régularisation des situations antérieures.
L’enfant doit être de premier rang, issu d’un premier mariage (pas de prime pour le premier enfant d’un second mariage), contracté avant la naissance, (dans le cas des jumeaux seul l’aîné ouvre droit à prime, le second à allocation), né viable et être toujours vivant à six mois selon une définition quelque peu élargie de la viabilité… La douleur du décès précoce d’un ­premier enfant ne compte pas.
La loi du 18 novembre 1942 corrigera légèrement cette brutalité. Lors de l’accouchement, un médecin ou une sage-femme établit un certificat constatant que l’enfant est né non-viable. Si dans les deux ans de ce décès le couple a un autre enfant viable, il aura droit au deuxième terme de la prime.
L’enfant doit être Français, né en France de parents français. La prime n’est pas attribuée dans les colonies. Si l’enfant naît en France de parents étrangers mariés, son représentant légal pour toucher la prime doit dans les six mois (de viabilité) renoncer à la possibilité qu’aurait eu cet enfant de répudier (sic) la nationalité française à sa majorité.
Le montant de la prime est important puisqu’il est du double du salaire moyen départemental annuel avec un plancher fixé à 2 000 F (afin d’éviter les trop fortes disparités entre départements et zones urbaines et rurales), soit deux mois en moyenne d’allocations familiales. Ce plancher n’a pas été élevé au 1er janvier 1942, au motif que les nouveaux taux des salaires moyens départementaux se situent partout au-dessus de 2 000 F. Subsistent cependant des disparités entre primes à 2 100 F et 3 400 F.
La prime est payée en deux termes (six mois avant la naissance, six mois après la naissance) en principe à la mère. Si elle est consentante ou empêchée, la somme sera versée au mari, ou au tuteur, ou à la personne qui a la charge de l’enfant. Quoi qu’il en soit, elle est attribuée dans l’intérêt de l’enfant et pour cela est incessible et insaisissable. Si une famille ne présente pas les garanties suffisantes d’un emploi de la somme dans l’intérêt de l’enfant, cette dernière est versée à un établissement de bienfaisance ou à une personne qualifiée, le tuteur (tutrice) aux allocations familiales.
  • Certaines municipalités ou départements, dont Paris et la Seine, octroyaient depuis les années 192 (...)
Ce sont les caisses de compensation qui la délivrent à leurs affiliés, les mairies aux inactifs, sur présentation dans les deux cas du livret de famille (preuve de la date du mariage et de la légitimité de l’enfant), du certificat de grossesse pour le premier terme, puis du certificat de vie à six mois pour le deuxième terme.
  • Lois du 29 mars 1941 et 17 novembre 1941.
L’allocation de salaire unique illustre également de façon démonstrative, après analyse, la prise de distance vis-à-vis du travail effectif comme source d’allocation, la recherche de la légitimité française et la fonctionnalisation domestique des femmes. Ce qui n’est pas évident au premier abord.
On peut s’interroger en effet sur l’esprit de cette nouvelle allocation, liée apparemment à l’existence d’un seul salarié actif par foyer, par rapport à celui de l’allocation de la mère au foyer de la loi du 12 novembre 1938 remaniée par le décret-loi de 1939. Pourquoi ce gouvernement, fervent artisan du retour de l’épouse au foyer et de l’éviction des femmes en général de la sphère publique et productrice, a-t-il fait coexister ou plutôt dominer la notion de salaire unique, possiblement féminin, sur l’allocation de la mère au foyer ?
En 1938, l’allocation de la mère au foyer consistait en une majoration des allocations familiales au profit des mères ou ascendantes qui ne percevaient aucune rémunération. Elle avait pour but d’une part d’atténuer les différences de ressources entre les foyers à double salaire et les autres, d’autre part d’inciter les femmes à rester au foyer et à quitter le marché du travail.
Dans le texte de 1939, la majoration est accordée lorsqu’il ne rentre dans le ménage qu’un seul revenu professionnel, provenant de l’activité du mari (le plus souvent) mais aussi de la mère ou de l’ascendante. La rupture (théorique) d’avec la politique dissuasive du travail féminin a déjà été ressentie chez les familiaux comme une faute idéologique paritariste. Lexicalement, l’intitulé « mère au foyer » ne convenait plus. La nouvelle allocation dite « de salaire unique », en meilleure cohérence avec la réalité, couvrira de plus certaines exclues de 1939 (les mères au foyer rurales) mais en évincera d’autres, en particulier les épouses de chômeurs complets.
  • Cf. Paul Durand, « Allocations familiales et salaire unique », Collection Droit social, XI, 1941, (...)
Or ce n’est pas une simple question d’intitulé : en évoquant son contenu, on s’attachera à l’apprécier sachant que les juristes familiaux récusent la formulation « égalitaire » et « libérale », la qualité médiocre, selon eux, de sa rédaction juridique.
L’allocation de salaire unique est instituée en mars 1941 au profit de la famille ayant au moins un enfant à charge jusqu’à l’âge de 15 ans, enfant français légitime ou assimilé : adopté, beaux-enfants, petits-enfants, et disposant d’un seul revenu professionnel (un salaire, public ou privé) versé en contrepartie d’un travail effectif.
L’âge et le nombre d’enfants d’un couple déterminent les taux de l’allocation de salaire unique exprimés en pourcentages du salaire moyen départemental (en 1941, à Paris, le salaire moyen est de 1 700 F par mois, dans une commune rurale au plus bas de 950 F par mois). Ce taux est de 20 % pour l’enfant unique de moins de 5 ans, de 10 % pour l’enfant unique entre 5 et 15 ans, de 25 % pour deux enfants, de 30 % pour trois enfants et plus. Si l’allocation est versée à une femme salariée seule, ou à une ascendante, le taux s’élève à 20 % pour l’enfant légitime unique de plus de 5 ans.
Le terme « salarié » est entendu quelle que soit la qualité de l’employeur ou sa profession, ce qui exclut tous les travailleurs indépendants, les patrons et les exploitants agricoles.
Ce texte connaîtra de curieuses mesures d’application qui permettent d’apprécier la vocation profonde du texte.
Article 11, « Les dispositions du présent acte ne font pas obstacle au recrutement ou à l’emploi d(...)
Tout d’abord en ce qui concerne la condition de ne bénéficier que d’« un seul revenu professionnel du mari ou de l’épouse ». Le secrétariat d’État au Travail reconnaît qu’il est fréquent que l’un des époux, (en fait presque toujours l’épouse) effectue des travaux à domicile ou à l’extérieur, à temps partiel, peu rémunérés. Si ce salaire d’appoint n’atteint pas le tiers du salaire moyen départemental en vigueur au lieu de résidence et que d’autre part l’exercice de son activité ne retient pas le second conjoint hors de son foyer plus d’une demi-journée par jour, on pourra alors attribuer à la famille l’allocation de salaire unique ! On retrouve là, à peu près dans les mêmes termes, la distinction de genre entre travail masculin et féminin établie par la loi du 11 octobre 1940 sur le travail féminin dans la fonction publique, c’est-à-dire un travail peu rémunéré, à temps partiel, et qui n’empêche pas d’effectuer ses tâches domestiques primordiales.
  • Par exemple si le revenu issu d’un travail effectif avait le seul sens de salaire, un salarié en c (...)
L’exigence d’un « travail effectif » prise au pied de la lettre paraît être contraire au mouvement général visant à distancier travail et allocation. Or elle va donner lieu à des interprétations aberrantes avant d’aboutir aux instructions du secrétariat d’État au Travail décidant que l’allocation doit être versée en raison de leur « condition » aux salariés malades, aux femmes dont l’interruption de travail est motivée par le repos pré ou postnatal et aux accidentés du travail pendant la période d’incapacité temporaire. Les chômeurs partiels restent exclus de l’allocation jusqu’à la circulaire du 24 juin 1941, les veuves la conservent à partir du 9 septembre 1942.
Le mouvement d’extension va enfin se poursuive avec la création, le 19 novembre 1941, d’une allocation de salaire unique à 10 % offerte aux jeunes ménages français sans enfants durant les deux ans suivant la date de la célébration de leur mariage ! On est tenté de prime abord d’y voir un adjuvant à la prime à la première naissance, qui fonctionne sur le même délai, mais on peut y lire aussi d’autres motivations.
C’est tout d’abord un texte conjoncturel destiné aux épouses de prisonniers de guerre puisque la durée de la mobilisation, de l’éloignement du mari mobilisé et prisonnier de guerre est soustraite du calcul du délai, (comme plus tard pour le STO). Le but n’en est donc pas seulement nataliste ; les circulaires d’application préciseront qu’il n’y a pas lieu de considérer l’âge des époux sous l’expression « jeunes ménages ». Des veufs ou des divorcés remariés peuvent en bénéficier, ainsi que tous nouveaux conjoints « déjà âgés » ! En fait, tout mariage contracté après la loi permet de recevoir la prime, tout mariage avant la loi permet de la recevoir pour la fraction de la période de deux ans restant encore à courir.
Alors ? Texte conjoncturel destiné à renforcer les ressources des épouses de prisonniers comme on l’a dit, certainement. Mais il faut y voir aussi une incitation au mariage légitime des couples français vivant en « faux ménages », une incitation à rentrer dans l’ordre pour les divorcés couvrant ainsi leur « délit social » du voile d’un nouveau mariage (fécond ou non), permettant à l’épouse et au mari de retrouver leurs rôles sociaux normés de domestique et chef de famille.
Les allocations agricoles paraissent être à la fois d’actualité politique et idéologique car elles concernent enfin… « les amis du monde rural » et consacrent la reconnaissance du droit à allocations des exploitants et artisans agricoles.
  • Henri Chatenay, Les allocations familiales en agriculture, thèse Droit, Paris, 1939, Impr. moderne (...)
  • Champ ouvert par le règlement d’administration publique du 5 août 1936 de mise en œuvre des alloca (...)
  • 1 milliard et demi en 1940, plus de 3 milliards en 1943 lorsque les allocations doublèrent, pour, (...)
  • Vichy ne résoudra pas les problèmes d’appartenance fonctionnelle de telle ou telle profession à la (...)
  • Louis Salleron, thèse citée et La naissance de l’État corporatif, Grasset, 1942.
  • Robert O. Paxton, Le temps des chemises vertes, Seuil, 1996, p. 99-102.
Les thèses en la matière se multiplient à partir de 1939 depuis le décret-loi ayant eu l’ambition de généraliser et d’uniformiser le champ allocataire en insistant astucieusement sur les bénéficiaires et sur la contribution étatique des deux tiers aux charges des caisses de compensation, plutôt que sur les assujettissements et les cotisations. Les assujettis sont définis par l’article 25 comme employeurs de main-d’œuvre pour un ­travail légalement agricole (définition d’octobre 1935), même occasionnel, et/ou, comme ayant leur occupation principale dans une profession légalement agricole dont ils tirent leur principal revenu, un doublé que les 38 caisses de compensation agricole (d’importance et de territorialité variable avant le décret) auront du mal à repérer, et dans l’espace et dans le temps. Articles et études de 1939 à 1943 reflètent la complexité, les difficultés d’application et surtout de financement, déjà rencontrées en matière d’assurances sociales, dissertent de manière très critique sur la réglementation antérieure à 1941-1942, et minimisent les résistances d’un milieu précocement corporatiste, réfractaire à toute cotisation et adhésion obligatoire, imposées et sanctionnées par l’État républicain. La mutualité volontaire oui, la solidarité nationale non.
  • Jacques Doublet, « Les allocations familiales agricoles », Droit social, n° 9, novembre 1943, p. 3 (...)
  • Cf. aussi Le tome IV desInstitutions de la France nouvelle consacré à l’Agriculture et au ravitai (...)
  • Salaire unique réservé aux seuls salariés pour un travail effectif, apprécié largement en particul (...)
Jacques Doublet affirme que les traits originaux du régime agricole permettraient de « préciser la véritable nature des institutions d’allocation familiale, […] leur portée […], leur place dans une politique démographique » expansive, répétant une fois encore que l’allocation familiale n’est pas un complément de salaire, sinon, « elle appartiendrait au travailleur envisagé comme individu. » Et justement le milieu professionnel agricole serait le plus profondément convaincu que l’allocation est bien affectée au seul corps familial. Vichy veut s’enorgueillir d’avoir régulé ce monde socioprofessionnel en appliquant au mieux le texte de 1939 qui reste la référence. Quelques variantes, généralement antérieures à juin 1940, ne seront pas modifiées durant la période étudiée.
Certaines données ont été ou seront abordées avec le régime général (salaire moyen départemental rural, salaire unique, primes, montant des prestations, contrôle de l’usage des prestations, tutelle aux allocations selon la loi du 18 novembre 1942). On ne développera donc ici que deux points spécifiques du domaine et de la période, soit l’organisation du service des allocations et le contrôle des assujettis, à ne pas confondre avec le contrôle de l’usage des allocations par les bénéficiaires et le contrôle financier des caisses privées d’intérêt public.
La politique sociale agricole est spécialement confiée au ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement par la loi du 5 avril 1941, la plus importante pour notre propos. Chargé de la mise en place de l’organisation corporative, il décide, à l’instar des mesures prises en matière d’assurances sociales, de la fusion en une caisse départementale unique des différentes caisses de compensation déjà agréées par lui, répartit la contribution de l’État et contrôle son utilisation. Il peut passer outre les décisions des comités départementaux qui fixent le taux des cotisations.
Il est assisté d’un organisme de conseil, la Commission supérieure des allocations familiales agricoles qui se détache de la Commission supérieure des allocations familiales (générales) du ministère du Travail. Il est cependant créé en son sein une formation spéciale, chargée d’assurer la liaison avec le ministère du Travail. Depuis le décret de 1938 il existait aussi une formation permanente active de sept membres nommés par le ministre de l’Agriculture. Elle verra son rôle accru par le décret du 4 mars 1942 vis-à-vis des comités départementaux et du contrôle des opérations de surcompensation.
  • Adhésions, calcul des cotisations sur déclarations annuelles. (Cf. infra) « Un contrôle circonspec (...)
Les comités départementaux mis en place par l’arrêté du 31 août 1938, composés principalement d’administratifs, des directions des caisses de compensation et de quelques représentants du monde agricole (représentant des salariés, des exploitants, un père de famille nombreuse, etc.) nommés par le préfet, ont pour fonction essentielle de fixer le mode de calcul des cotisations et le montant des allocations. Le milieu rural s’estimant peu concerné, ces comités sont pour les caisses de compensation l’occasion de se réunir avec les autorités administratives afin d’harmoniser cotisations et allocations. Ils perdront donc de leur importance à partir de la double rationalisation mise en route dès le 2 décembre 1940, renforcée par la loi du 16 décembre 1942, fortement orientée par l’idéologie corporatiste et sa recherche de l’unicité du corps familial : une seule caisse agréée par département, un seul salaire moyen départemental rural, donc un seul barème d’allocation. L’essentiel de leurs compétences se concentrera donc sur le seul contrôle des assujettissements.
Établissements privés d’intérêt public, les caisses de compensation agricole sont soumises dès la fin de 1940 à des règles particulières quant à leur constitution, leur agrément et leur contrôle financier.
Elles doivent constituer une organisation professionnelle unique par département. La pluralité est confondue avec le désordre. Les grandes caisses pluri-départementales, comme celle du sud-est à Lyon compétente pour onze départements, doivent se scinder par département et négocier la fusion avec les plus petites caisses locales si elles existent. S’il n’y a pas d’accord, la fusion sera imposée. Toutes porteront le même nom : « Caisse mutuelle d’allocations familiales agricoles du département de… » On remarquera la généralisation de la forme mutualiste à laquelle le corps paysan est fort attaché.
Il en est de même pour le sommet de la hiérarchie, le régime ne veut connaître qu’une seule tête nationale. En mai 1941, la Caisse centrale d’allocations familiales mutuelles agricoles et la Caisse nationale agricole d’allocations familiales sont fusionnées en Caisse centrale des allocations familiales mutuelles agricoles. Il s’agit plutôt d’une absorption de la seconde par la première, mieux pensante, mutualiste, proche de la Fédération corporatiste de la Mutualité agricole, le siège de la « nouvelle » caisse sera d’ailleurs le sien, à Paris, 25 rue de la Ville-l’Évèque.
  • Capacité juridique, garanties financières, règlement intérieur, adhésion à une caisse centrale de (...)
L’agrément revient, dès la loi du 5 avril 1941, modifiée le 26 août 1942, au secrétaire d’État à l’Agriculture et au Ravitaillement et conserve quelques dispositions du règlement d’administration publique du 5 août 1936. Sa procédure et les conditions requises s’écartent peu de celles des caisses non agricoles. On soulignera simplement que le fait d’avoir institué une seule caisse par département résout d’emblée toute condition d’effectif d’affiliés et supprime les caisses minuscules.
Le contrôle administratif revient bien évidemment également au secrétaire d’État à l’Agriculture qui peut, selon la gravité de la mise en cause, nommer un administrateur provisoire ou retirer son agrément. Sont habilités au contrôle financier les agents du secrétariat d’État à l’Agriculture sous l’autorité des divers receveurs des Finances, ainsi que les membres de l’inspection générale des Finances, contrôle financier serré car il ne faut pas oublier la masse, la manne depuis 1939, du subventionnement public des deux tiers des primes et allocations versées à de nombreuses familles (nombreuses) bénéficiaires.
  • Sarah Fishman, Femmes de prisonniers de guerre, 1940-1945, L’Harmattan, 1996, 279 p., traduit de l (...)
Une approche d’apparence technique, telle celle des allocations aux familles de prisonniers de guerre et de travailleurs volontaires ou forcés en Allemagne, permet toutefois de repérer l’objectif politique dissimulé derrière ces statuts. En droit, les prisonniers de statut militaire et les travailleurs de statut civil vont voir leurs statuts allocataires confondus, en tant que personnes déplacées au service de l’Allemagne. Cette confusion est rendue d’autant plus nécessaire que les prisonniers de guerre peuvent se transformer en travailleurs civils en Allemagne au fur et à mesure de l’arrivée des contingents du STO. Sarah Fishmann estime à 221 000 ces prisonniers de guerre ayant changé de statut
  • Par exemple, pour un enfant unique à Paris la majoration est passée de 5,50 F à 10,50 F puis 12,50(...)
Les prisonniers de guerre sont avant tout des militaires ou des mobilisés. Dès la déclaration de guerre, des mesures sont prises pour soutenir leurs familles. Elles seront poursuivies par Vichy. En tant que soutiens de famille, les prisonniers peuvent bénéficier donc, outre leur solde (variable selon le grade, la durée d’incorporation, leur situation de famille), d’une allocation militaire supplémentaire familiale composée d’une allocation principale pour leur épouse et de majorations pour enfants et/ou ascendants à charge selon un barème variant avec le lieu de résidence. Depuis mai 1941 un supplément de deux francs par rapport aux militaires non-prisonniers doit permettre l’envoi de colis. Une commission cantonale examine les cas de ces familles réclamant et ayant besoin d’allocations complémentaires. Ces compléments sont régulièrement augmentés entre juin 1941 et le 31 mai 1942.
  • D’après S. Fishman, op. cit., qui, à raison, signale la difficulté de certification des données, à (...)
  • Accord sur l’augmentation pour les deux premiers enfants, sur des emplois auxiliaires de bas échel (...)
Cette augmentation est jugée absolument insuffisante par Jacques Chevalier, secrétaire d’État à la Santé et à la Famille qui propose face au risque d’une prostitution forcée et de « revenus inavouables» une mesure iconoclaste pour l’époque, trouver aux femmes de prisonniers des emplois prioritaires, au moins à temps partiel, ou leur verser des allocations familiales accrues et le salaire unique bien que leur mari ne soit plus salarié.
  • Un enfant parisien apporte 15, 60 F contre 7 F dans une commune de moins de 5 000 habitants ; chaq(...)
Le système de la délégation familiale, supplément aux allocations militaires, apparaît dans la loi du 20 juillet 1942. Les taux journaliers sont déterminés en fonction de la résidence effective du bénéficiaire et oscillent entre 10,50 F (pour les communes de moins de 5 000 habitants) et 20 F (pour Paris et la Seine). À cette indemnité principale, s’ajoutent des majorations pour enfants de moins de 16 ans (prorogées jusqu’à 17 ans pour apprentissage ou handicap, jusqu’à 20 ans pour études) et ascendants à charge. Cette délégation, qui apporte un supplément d’environ 20 % aux allocations militaires, ne se cumule pas avec les allocations familiales. De plus, pour la toucher, il ne faut pas dépasser un certain plafond fixé par décret afin d’éviter la disparité des choix des commissions cantonales.
  • Par une diminution du plafond des revenus des ayant droits, revenus estimés sur les trois-quarts d (...)
Les multiples et solides associations et comités d’aide aux prisonniers et leurs familles finirent par obtenir en 1943, en pleine inflation de 185 %, une faible majoration des délégations par le biais d’un accroissement du nombre des bénéficiaires et une allocation différentielle lorsque l’épouse travaillait et touchait de ce fait des allocations familiales inférieures aux délégations malgré leur allocation de salaire unique. Sarah Fishman n’hésite pas à écrire : « Ce qui fut décidé pour les femmes de prisonniers de guerre était en totale contradiction avec la politique familiale prônée par Vichy. »
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